From Le Monde

Le gouvernement de la Chine, de sa propre volonté, a ajouté à la Constitution de son pays l’engagement à “respecter et protéger les droits humains”. C’était en 2004. En 1998, il avait signé la Convention internationale sur les droits civils et politiques ; et en 2008, il avait annoncé la mise en place d’un “plan d’action national pour les droits humains”. On ne peut reprocher ces engagements à des gouvernements étrangers. Ni au comité du prix Nobel de la paix. Ni à Liu Xiaobo. Il est l’ancien président du Centre PEN chinois indépendant, mais il est aujourd’hui en prison parce qu’il a cru aux engagements de la Constitution chinoise et du gouvernement de la Chine.

D’ici à la cérémonie de remise du Nobel de la Paix, le 10 décembre, un cri de plus en plus fort va se faire entendre : “Libérez Liu Xiaobo !” Ce cri vient de tous les continents. Il faut ajouter à ces mots : “Libérez sa femme, Liu Xia, assignée à résidence !” Et une fois partis, libérez la quarantaine d’autres écrivains incarcérés, dont les noms apparaissent sur la liste des écrivains emprisonnés de PEN Club International. Et cessez de harceler les citoyens loyaux, dont plusieurs sont membres du PEN chinois indépendant. Ils ne font rien d’autre qu’exercer leurs droits constitutionnels.

Liu Xiaobo décrirait probablement toutes ces arrestations et tous ces harcèlements comme des tensions superficielles venues d’une crise profonde. Pour une raison ou une autre, Pékin n’arrive pas à voir que ses actions minent sa propre crédibilité en Chine même. Le mandat venu du ciel, dont jouissaient les dynasties impériales chinoises, a été perdu par ceux qui en disposaient. Ils le perdent quand ils cessent d’assurer que justice est rendue. Quant à l’influence que les autorités chinoises cherchent à exercer dans le monde, elle est, elle aussi, ébranlée. Ce sont là des blessures que la Chine s’est infligées à elle-même.

Le leadership et l’influence ont besoin d’un poids économique ou militaire. Mais ils dépendent également en grande partie d’un élément de confiance. Et l’échec de Pékin, quand il s’agit d’appliquer la transparence qui sied à la liberté d’expression et aux droits de la personne, nuit constamment à son effort d’inspirer confiance ailleurs dans le monde.

Naïveté surprenante

L’appel que lance Liu Xiaobo est clairement inscrit dans la Charte 08 qui, à ce jour, a été signée par des milliers de citoyens chinois qui vivent en Chine. Quand Pékin tente de dénigrer la Charte en prétendant qu’elle correspond à des influences occidentales, elle manifeste une naïveté surprenante. Ces principes de liberté d’expression, de droits humains et d’égalité sont des normes auxquelles on aspire tout aussi bien en Asie qu’en Europe, dans les Amériques et en Afrique. La forme peut bien sûr en varier selon la société, mais ces normes sont clairement affirmées dans la Constitution chinoise et elles sont ancrées de longue date dans l’histoire de la Chine.

Les autorités continuent d’insister en disant que les Occidentaux s’acharnent sur elles, que ce Prix Nobel de la paix n’en est qu’un nouvel exemple. Mais c’est le contraire qui est vrai, en fait. Partout à travers le monde, les gens veulent devenir les amis de la Chine. Et pas seulement pour des raisons économiques. La question qui se pose est de savoir ce que nous entendons par amitié. Pendant la guerre froide, on était pour ou contre la Chine. L’amitié correspondait à une sorte de loyauté aveugle ; aucune critique de part et d’autre. Pour ceux d’entre nous qui admirons la Chine et y avons vécu, c’est une approche tout à fait insatisfaisante.

De plus en plus de personnes soulignent qu’en chinois, le concept entier d’amitié – un véritable ami – est zhengyou : quelqu’un qui est ouvert et honnête, qui ne craint pas de critiquer, ce que l’on peut attendre d’un ami personnel de longue date. En fait, ce prix Nobel de la paix peut être vu comme un geste d’amitié envers la Chine.

Ceux que le régime emprisonne sont en général ses meilleurs amis ; susceptibles et mal à l’aise, comme de bons écrivains et de vrais amis. De nombreuses personnes au gouvernement souhaitent qu’il y ait moins de corruption, un meilleur traitement pour les travailleurs, moins d’accidents dans les mines, un système d’éducation publique plus approprié, un système de santé publique correct. Ils veulent une société plus juste. Toutes choses qui sont très présentes dans le message des écrivains que l’on arrête.

Il y a une vérité bien établie qui est liée à ces messages. La liberté d’expression, même si elle ne peut rien garantir, est néanmoins ce qui rend les réformes possibles. C’est la raison pour laquelle une voix courageuse comme celle de Liu Xiaobo doit être célébrée. Le premier geste de cette célébration, ce serait de le libérer.

John Ralston Saul, président de l’association d’écrivains PEN Club international